Presse CHAT QUI VOLE

Voici une analyse très précise du roman :

Chat qui vole François David Éditions du jasmin, 2003

Voler, s’envoler et exister enfin…

« Chat qui vole : est-ce chat ailé ou chat voleur ? Encore un jeu de mots comme les affectionne tant François David, poète et écrivain pour la jeunesse depuis 1991. Autour de cette homophonie et dans une atmosphère de science-fiction, il construit ici un nouveau récit dont les personnages principaux, qui ont entre 12 et 16 ans, se retrouvent dans une situation périlleuse… Nous sommes en Esotie, capitale Esota : les agences touristiques en vantent le charme et la qualité de vie ; tout est fait pour que les touristes repartent comblés et parlent de l’Esotie autour d’eux… Étranges lois sociales tout de même : ces lois protègent notamment les « chuchios » et les « chuchias ». Ces enfants sans parents ni famille ont le « devoir » de ne pas coucher dans la rue (les touristes ne doivent voir personne coucher à la belle étoile, ça ferait mauvais effet !). À partir de l’âge de 12 ans, ils sont porteurs d’un carnet : tampon sanitaire bleu à faire apposer tous les quinze jours, tampon rouge quotidien pour attester qu’on ne dort pas deux fois par mois dans le même immeuble (on risquerait d’y prendre de « mauvaises habitudes » !). Et attention ! Les enfants ont le « droit » d’être jetés en prison… Les « chuchias » ont de la chance : de 23 heures à 6 heures du matin, elles peuvent être contemplées dans leur sommeil, à travers une grille, par des touristes… Bien sûr ceux-ci ont signé les « Consignes du Respect de la Personne » et s’ils y dérogent, s’ils dépassent les horaires ou reviennent 2 nuits de suite regarder la même « chuchia », la polizzia peut les expulser définitivement du pays. Ainsi les enfants sont bien protégés en Esotie. Les chuchios n’ont pas le droit de « mendier », alors ils se débrouillent pour « rendre service » aux touristes… Ils n’ont pas non plus le droit de travailler à moins d’être artistes… Car une autre chose est sacrée en Esotie, c’est le cirque : gratuit et obligatoire 3 fois par an, le public peut y être exigeant… Charmante ambiance, n’est-ce pas ?

Dans ce décor, voici Manzado et Violetta… Manzado s’ennuie… Les journées sont difficiles, les nuits sont longues… Il monte le plus tard possible dans la chambre qui lui est attribuée. Il chasse le cafard (les idées noires) en traquant le cafard (l’animal) pour organiser des courses, faire des paris sur l’avenir et rêver… Violetta danse, elle, mais ça en Esotie, ça ne vaut rien. Elle a des yeux violets « uniques » dans lesquels Manzado voudrait se baigner. Son rêve à elle ce serait une chambre pour dormir seule, toute une nuit, sans personne pour la regarder.

Manzado s’attache à un chaton trouvé dans la rue, un chaton tout roux et fou qui devient naturellement Turufu ; tous deux sont seuls au monde et se comprennent. Mais le chaton ne veut pas chasser les souris et le « chuchio » a du mal à subvenir à leurs besoins. Un jour, il a une idée « bizarre, biscornue » et monte avec son chat une « Opération Balcon » qui va le mener hélas jusqu’en prison… Turufu reste libre car les animaux sont respectés en Esotie et une prison, ce n’est pas fait pour une bête ! Le chat parvient cependant à s’imposer et ils arrivent ensemble à prouver qu’ils sont des artistes de haut vol : ils se retrouvent au « Circo Grasco ». De son côté, Violetta perd le sommeil à cause d’un touriste qui la trouble, qui lui parle en la regardant, qui revient chaque nuit en dépit des interdictions… Elle n’en peut plus… Ses yeux perdent leur couleur enivrante… Elle se réfugie auprès de Manzado : mais il lui faut échapper à la polizzia car une chuchia qui néglige ses devoirs devient une criminelle… Violetta arrivera-t-elle jamais à réaliser son rêve ?

François David nous emporte avec Manzado, Turufu et Violetta au cœur d’une histoire parfois dérangeante : on est mal à l’aise dans cette société fictive qui se veut championne de justice et de protection et qui néglige tant la liberté individuelle. Lorsque Manzado parvient à sortir de sa solitude, grâce à sa complicité avec le chaton, nous plongeons avec eux dans la crainte de leur arrestation ; lorsque Manzado perd le sommeil à force de guetter la polizzia et que Violetta perd aussi le sommeil car elle ne peut plus supporter le regard inquisiteur du touriste, nous espérons avec eux une issue… L’auteur raconte la souffrance des deux enfants qui ressentent un grand besoin d’amitié et d’amour et qui sont étouffés dans un système social à but purement économique. Le chuchio ne supporte plus la solitude qu’on lui impose, la chuchia ne supporte plus le regard qu’on lui impose, aucun n’a l’impression d’exister vraiment. L’auteur-poète parvient à adoucir le tableau par des couleurs : le roux du chat éclaire la vie de Manzado, le violet des yeux de la jeune fille avive le paysage. Avec une écriture fluide, des épisodes courts et rythmés, au contenu si déroutant parfois, François David parle de choses graves en y alliant la fantaisie et la tendresse, il parvient à attiser la sensibilité de ses lecteurs et les dérange pour mieux les faire réfléchir : Chat qui vole est un nouveau récit « non paisible » qui « pose des questions » et nous interroge cette fois sur la dignité humaine… »

Martine Falgayrac (décembre 2003) ARTICLE DE SITARTMAG