ARTICLE SUR MON BUREAU

À la Foire du livre de Bologne, dans le beau magazine, « Crayons » consacré aux illustrateurs, Daniela Bonerba fait une exception, chaque année, pour un écrivain. Il y a ainsi, en 2022, quatre pages avec des photographies de mon bureau et un texte que j’ai écrit pour l’évoquer :

« Dans mon bureau, il y a des caisses. Partout des caisses. Même au plafond. Surtout au plafond. Clouées sur les solives. Des caisses en forme de cubes, rescapées d’un spectacle Boris Vian que j’avais mis en scène. Et des caisses de vin, bu il y a longtemps, remplacé par des livres, qui ne tiennent pas droit, mais se couchent, mais s’empilent. Tantôt verticaux avec les titres au dos, dans un sens, dans un autre, il faut se tordre le cou pour les lire. Tantôt horizontaux, chaque livre grimpant sur un autre livre afin de se faire une place, malgré tout, dans sa caisse. Il y a la caisse Baudelaire. Et la caisse Buzzati. Et la caisse des auteurs que j’aime passionnément. Certains livres, les miens aussi, sont posés sur des planches tenues par des cordages. Un peu comme sur les bateaux. C’est ma façon sans doute de naviguer. Moi qui vais sur la mer surtout avec les yeux. Elle est sous ma fenêtre, je peux la contempler. Mais j’ai surtout besoin de m’assurer qu’elle est là. J’y trempe rapidement le regard comme on trempait jadis dans l’encre la plume. Puis je reviens vers l’ordinateur et sur le clavier où mes doigts semblent savoir, bien avant moi, ce que je vais exprimer. Je corrige inlassablement, je modifie, mais sans traces, sans manuscrit surchargé de ratures pour les archives. Car je tape, et j’imprime, et découvre aussitôt la page, mystérieusement toujours si différente du texte sur l’écran devant moi. Je change un mot, un son et je sors une nouvelle feuille de l’imprimante. Je la regarde et je la jette à nouveau dans la corbeille débordante. Je recommence, je recommence encore, devant la mer, sous les cai sses de vin, sous les caisses de Vian, dans mon bureau. »